Il aura fallu une lettre à son éditrice, publiée par Jean-Luc Mélenchon sur son blog, dans laquelle ce dernier s’insurge contre le projet des Editions Fayard de ressortir l’ouvrage d’Adolf Hitler, Mein Kampf, pour mettre en émoi le microcosme parisien de la recherche, de l’édition et de la presse. Le journal Libération, qui ne manque plus une occasion depuis que Laurent Joffrin est revenu aux commandes, de croiser le fer avec le leader du Parti de gauche en a même fait sa une le mardi 27 octobre avec ce titre faussement interrogatif : « Le publier ou pas ? ». Il ne fait évidemment aucun doute que la réponse est positive. Il n’y a d’ailleurs pas vraiment débat du côté des historiens, ni même des politiques. A part Jean-Luc Mélenchon qui a fait part de son « horreur » et de son « opposition totale », la plupart des politiques n’ont même pas cru nécessaire de bouger une oreille. La publication proposée par les éditions Fayard s’inscrit dans la foulée de ce qui a été fait en Allemagne, c’est-à-dire une version dotée d’un solide appareil critique qui remet en perspective le texte du dictateur allemand. Les meilleurs historiens français du nazisme devraient participer à cette aventure éditoriale. On peut néanmoins s’interroger sur les motivations de l’éditeur quand on connaît l’intérêt limité de ce texte pour comprendre le nazisme. Si, à une époque, on avait vu dans ce document profondément antisémite l’origine de l’extermination des juifs, il y a bien longtemps qu’une telle thèse n’a plus cours. Ce sont les conditions mêmes de la guerre qui conduisirent Hitler à imaginer la solution finale. L’extermination systématique n’a été planifiée qu’au moment de la conférence de Wansee, en janvier 1942. En 1924-1925, quand Hitler rédige son pamphlet, il n’envisage tout au plus qu’une mise à l’écart de la société, voire une expulsion d’Allemagne, des juifs. Johann Chapoutot, historien et spécialiste du nazisme, considère qu’il existe des sources bien plus intéressantes et décisives que celle-ci. Comment ne pas lui donner raison ? Il s’agit avant tout d’un ouvrage qui reprend les thèses pangermanistes des milieux nationalistes allemands de l’époque. L’expression écrite est laborieuse pour ne pas dire indigeste. Hitler, selon son entourage, ne l’aurait rédigé que pour s’assurer quelques revenus au moment où il était emprisonné à la suite de sa tentative de putsch manquée. Si le succès fut au rendez-vous, Mein Kampf ne devint un best-seller qu’à partir de 1933. C’est l’arrivée au pouvoir d’Hitler qui mit son ouvrage dans les devantures des librairies. Les municipalités allemandes l’achetèrent par milliers d’exemplaires pour l’offrir aux époux en cadeau de mariage. Entre 1933 et 1945, il trônait probablement en bonne place sur les étagères de la bibliothèque des foyers allemands. Pour autant avait-il été lu ? Rien n’est moins certain ! L’influence d’un tel ouvrage fut probablement faible et ne contribua pas à l’arrivée d’Hitler au pouvoir, ni même à son maintien. De fait, il n’y a aucune raison objective qui puisse empêcher une réédition. D’ailleurs, la loi française ne s’y oppose pas à condition que figure dans l’ouvrage un avertissement sur les conséquences dévastatrices de l’idéologie nazie. Aussi est-il déjà possible aujourd’hui de se procurer Mein Kampf en librairie ou sur Internet sans grande difficulté. En proposant une édition critique, Fayard va bien au-delà de la législation. Il est pourtant difficile de penser qu’elle sera un grand apport à la recherche historique. Elle pourra tout au plus satisfaire l’honnête homme, voire l’étudiant, qui souhaite aller un peu plus loin que les actuelles banalités des manuels d’histoire du secondaire. Les éditions Fayard ont flairé avant les autres le bon coup éditorial. Il est certain que cette réédition rencontrera un large public. Le caractère sulfureux de l’ouvrage devrait largement y pourvoir. En cela, les éditions Fayard s’inscrivent dans une époque où ce n’est plus la qualité littéraire ou scientifique d’un texte qui décide de son édition, mais bien les profits escomptés. L’éditeur a beau nous expliquer sur tous les tons qu’il fait œuvre utile sa défense fait sourire. Jean-Luc Mélenchon, avec des formules qui lui appartiennent, n’a pas tout à fait tort de ruer dans les brancards, mais peut-être pas pour les raisons qu'il invoque !
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