François Hollande à Bercy
Tous les observateurs de la vie politique ont souligné la progression de la gauche au premier tour de l’élection présidentielle. Avec 43,8%, elle réalise un de ses meilleurs scores depuis les débuts de la Ve République à ce type de scrutin. Plus de 8 points ont été gagnés par rapport à 2007, mais sans pour autant inverser réellement le rapport gauche/droite dans le pays qui reste en faveur de cette dernière.
Avec un tel constat arithmétique, Nicolas Sarkozy devrait pouvoir l’emporter au deuxième tour et pourtant c’est François Hollande qui a toutes les chances de le devancer dimanche 6 mai, parce que l’arithmétique n’a jamais fait bon ménage avec la politique. L’écart entre les deux pourrait même être conséquent, si l’on en croit les dernières études d’opinion publiées récemment.
De multiples facteurs expliquent ce paradoxe électoral.
L’élection présidentielle est d’abord une confrontation de personnalités dans lesquelles les Français se reconnaissent. La logique des institutions de la Ve République qui donne la prééminence au pouvoir exécutif sur le pouvoir législatif, la présidentialisation renforcée du régime par l’élection du Président de la République au suffrage universel en 1962 et par la réforme du quinquennat accompagnée de l’inversion du calendrier électoral (présidentielle et législatives) en 2000, mettent cette rencontre d’un homme ou d’une femme avec le pays au cœur du processus électoral : le collectif s’efface devant l’individu.
Avant même de connaître leur programme, on scrute les qualités des candidats : l’énergie, la détermination, la constance, la faculté à faire président. Il se profile alors une image de l’homme et de la fonction dans l’inconscient collectif en rapport avec une situation historique. Cette image n’est jamais une fois pour toute fixée : le père de la patrie, l’homme de la continuité, l’incarnation d’une force tranquille, l’homme de la rupture avec le système. Mais chacune, à sa manière, exprime la capacité du candidat à rassembler : rassembler son camp et rassembler les Français.
Dans ces conditions, le clivage gauche/droite, tradition de la vie politique française depuis la révolution, ne manque pas d’être dépassé par ceux-là même qui s’en réclament alors que les programmes des uns et des autres pèsent peu dans le choix final. En 2007, les Français n’ont pas été séduits par les propositions que pouvait faire le candidat de l’UMP, mais par l’énergie et le volontarisme d’un homme qui proposait une rupture avec le système en place et qui a su imposer, l’espace d’une campagne, l’image de l’homme providentiel. Bien sûr, les électeurs de droite ont très massivement voté pour lui, mais à ceux-là se sont aussi ajoutés une partie non négligeable de ceux du centre, voire de gauche.
En 2012, la personnalité du président sortant est sérieusement écornée. Sa popularité est au plus bas. Le désaveu électoral est net. Il se traduit à la fois dans son propre score - pour la première fois sous la Ve République un président sortant n’est pas en tête au premier tour de l’élection présidentielle - et dans le succès rencontré par Marine Le Pen qui parvient à faire mieux que son père en 2002. Nicolas Sarkozy est-il pour autant différent de l’homme qu’il était en 2007 ? Probablement pas, mais l’image qu’il véhicule est devenue un repoussoir jusque dans les rangs des électeurs de droite.
François Hollande, sur qui il y a encore un an personne n’aurait parié, est en train de rafler la mise. Faute de mieux diront certains. Peut-être ! Mais il incarne une République respectable, sérieuse, pour nombre d’électeurs qui veulent tourner la page du sarkozysme. Il fait montre d’une certaine constance. Un président normal, comme il se définit lui-même, proche des Français et de surcroît élu d’un département rural. Des deux, il est celui qui est le plus en mesure aujourd’hui de rassembler les Français. Le procès en incompétence, qu’a essayé d’intenter contre lui l’UMP et le président sortant, n’a pas pris. Le « mou » s’est durci, et a su imposer une personnalité complexe, mais au final plutôt rassurante.
Les Français, au-delà du cercle des militants et des sympathisants, sont-ils pour autant convaincus par les propositions du candidat socialiste ? Probablement pas. Il existe dans le pays une forme de fatalisme imposé par la crise que la campagne énergique de Jean-Luc Mélenchon n’a pas réussi à refouler. Dimanche 6 mai, l’image de François Hollande devrait s’imprimer sur nos écrans. Il deviendra alors le septième Président de la Ve République en ayant endossé, comme ses prédécesseurs, le costume fort peu républicain de l’homme providentiel. A une nuance près néanmoins, il ne s’agira pas d’un vote d’adhésion, mais de rejet du président sortant.
Une chance très certainement pour le quinquennat qui s’annonce. Les Français en rejetant Nicolas Sarkozy se donnent cinq ans pour adopter François Hollande qu’ils connaissent encore mal. Il n’y aura pas pour lui d’état de grâce. Il sait qu’il sera jugé sur les résultats de son action : relancer l’emploi et l’économie, améliorer la formation des jeunes et des moins jeunes, mieux partager les efforts nécessaires pour réduire les déficits. Les difficultés sont de taille. Le redressement du pays sera long.
Cela tombe bien, François Hollande est un coureur de fond. Nicolas Sarkozy vient de l’apprendre à ses dépens.
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