Discours prononcé vendredi 23 janvier aux voeux de Coignières pour Tous, salle de la Maison du voisinage à Coignières.
Monsieur le Président,
Mesdames et Messieurs les élus,
Mesdames et Messieurs,
Cher-e-s Ami-e-s,
Je tenais à vous remercier pour votre présence nombreuse ce soir. Votre confiance nous est précieuse en dépit de la déception que certains d’entre vous ont pu éprouver au soir de l’élection municipale.
Au vu du contexte dramatique de ces derniers jours, nous avions le choix entre annuler nos vœux - comme l’on fait quelques maires de notre région - ou profiter de ce moment, que nous voulons convivial, pour en faire un temps particulier de rencontre, loin des polémiques locales.
Nous avons choisi cette seconde solution. Il nous est apparu important, passée l’onde de choc, de se retrouver et d’échanger sur le sens à donner à ce que nous venons de vivre. Nous trouverons bien d’autres occasions pour aborder les questions de cette nouvelle mandature municipale : de l’intercommunalité à la situation financière de la commune en passant par la maison médicale.
Les attentats terroristes contre Charlie Hebdo et un magasin juif de la Porte de Vincennes ont suscité en France et dans le monde une très grande émotion.
Décimer la rédaction d’un journal, tuer des policiers dans leur mission de protection, éliminer un agent d’entretien, s’attaquer à une épicerie juive et abattre quatre clients, autant d’actes barbares que nous n’acceptons pas.
En agissant ainsi, ces trois assassins voulaient s’en prendre à ce qui fait les fondements mêmes de notre pacte social et républicain, tout en semant la peur et la division parmi nous. C’était sans compter la réaction spontanée d’une partie non négligeable de la population.
Nous avons été nombreuses et nombreux, à Coignières et partout en France, à manifester notre attachement aux grands principes de la République, choqués par la violence des actes commis, mais aussi conscients que ces valeurs de liberté, d’égalité, de fraternité et de laïcité sont notre bien commun, le ciment de la nation que nous formons.
« Je suis Charlie, je suis la police, je suis un agent d’entretien, je suis juif, je suis musulman ; nous sommes Charlie, nous sommes la police, nous sommes un agent d’entretien, nous sommes juifs, nous sommes musulmans » : autant de slogans entendus et lus dans ces cortèges qui ont battu le pavé, et qui témoignent aussi de notre solidarité avec les victimes et leurs familles.
Mais l’émotion passée qu’en sera-t-il ? Quelle analyse faisons-nous réellement de ces événements dramatiques ? Quelles mesures prendrons-nous pour qu’ils ne se reproduisent plus ? Il est évident qu’il est peut-être encore trop tôt pour répondre dans le détail à ces questions. Malgré tout, chacun sait que l’union nationale ne dure qu’un temps, qu’elle s’apparente dans toute démocratie à un mythe politique. L’Assemblée nationale, debout et chantant La Marseillaise, est une image aussi rare qu’improbable.
Nous ne pourrons pas continuer d’éluder, comme nous avons pu le faire jusque-là, certaines questions. Echec de l’intégration, peut-être et encore ! Mais que pèsent les conditions socio-économiques d’une partie de la population dans le sentiment d’exclusion qu’elle peut ressentir ? Pourquoi et comment des jeunes nés en France ont-ils ainsi basculé dans la radicalisation religieuse au point de commettre de tels actes ? Pourquoi les services de renseignements, qui les connaissaient, n’ont-ils pas pu intervenir en amont et éviter ainsi ces drames ? Les démocraties sont-elles prêtes à affronter cette mondialisation du terrorisme qui ne remonte pas au début de cette année, mais qui existe au moins depuis le milieu des années 1990 ?
L’explication consistant à dire que nous sommes aux prises avec une guerre des civilisations, qui prendrait l’aspect d’un combat résolu entre l’Islam et le monde occidental, est non seulement stupide, mais pire encore, irresponsable. C’est une petite minorité de l’Islam qui rejette toute forme de modernité et qui veut, au nom du prophète, imposer la charia en terrorisant les populations. Puissamment armés aujourd’hui, ces groupes terroristes avancent au Nigéria, au Yémen, au Mali, en Irak, en Syrie : Boko Haram ici, Daech ou l’Etat islamique là, Al-Qaïda, ailleurs.
Partout où les régimes politiques sont faibles et déstabilisés, ils peuvent mettre sous leur coupe des populations affolées qui n’ont pas réussi à fuir. C’est cela la réalité. Là, où le monde occidental intervient aujourd’hui, ce n’est pas pour mener la guerre à l’Islam, mais pour tenter d’empêcher de nuire des organisations qui terrorisent des peuples entiers et pourraient finir par s’emparer du pouvoir.
Quant à ceux qui prétendent que la religion musulmane est incompatible avec la démocratie et la République, se rendent-ils comptes de ce qu’ils disent ? Ont-ils un peu de culture historique ? Ne comprennent-ils pas que dans toute religion, il y a le meilleur et le pire, et en fonction de l’accent qui est mis, on a le meilleur ou on a le pire ? Ces détracteurs de l’Islam se souviennent-ils des guerres de religions entre catholiques et protestants qui ont profondément marqué notre pays au XVIe siècle ?
La laïcité est notre bien à toutes et tous. Elle permet à chacun de croire ou de ne pas croire, de pratiquer ou de ne pas pratiquer une religion. Elle permet aussi bien évidemment de critiquer les dogmes religieux, voire de s’en moquer, comme pouvaient le faire les journalistes et les dessinateurs de Charlie Hebdo assassinés mercredi 7 janvier. Cette liberté n’est pas acceptée par une poignée d’extrémistes de tous les bords.
Il semble aujourd’hui nécessaire de réaffirmer partout ce qu’est la République. Chacun d’entre nous, jeune et moins jeune, à sa place, dans son milieu professionnel, dans sa famille, en fonction du sens aussi qu’il donne à sa participation à la vie collective, doit pouvoir faire souffler cet esprit républicain. Une chose est certaine : aucune mesure ne sera efficace, si elle n’est pas partagée par une très grande majorité d’entre nous et, surtout, si elle ne vise pas à donner un caractère concret à notre belle devise : liberté, égalité, fraternité.
Il faut sans relâche expliquer que tout ne se vaut pas dans nos sociétés démocratiques, qu’il existe des échelles de valeurs, que la loi n’est pas là pour brimer, mais pour protéger. Des lycéens m’ont interpellé en me disant : « Charlie Hebdo aurait la liberté d’expression, mais pas Dieudonné. C’est pas juste ! » Il n’est évidemment pas facile de faire comprendre à des adolescents que la liberté d’expression est encadrée par la loi, que certains propos tenus par Dieudonné, lorsqu’il flirte avec l’antisémitisme ou fait l’apologie du terrorisme, sont de l’ordre du délit. En revanche, il n’en est rien pour Charlie Hebdo puisque le blasphème ne peut être un délit dans une société laïque.
Alors, élus, enseignants, citoyens…, aux armes ! Mais celles de l’intelligence ! Celles du discernement ! C’est le vœu que je formule pour cette année nouvelle. Qu’un drame de cette ampleur nous donne aussi la force et le courage de ne pas nous replier sur nous-mêmes, mais d’être partout, et toujours, ces messagers de la liberté, de la justice sociale et de la paix.
C’est à cette condition que les dix-sept victimes, pour lesquelles nous avons toutes et tous ce soir une pensée, ne seront pas mortes en vain. Quant aux bourreaux et à leurs actes ignobles, il nous faudra bien, à défaut d’oublier, trouver la force de pardonner, comme nous y invite la une de Charlie Hebdo.
Au cœur de ce drame absolu, un jeune homme humble et courageux, venu en France illégalement, et qui avait bien failli être renvoyé dans son pays sans les interventions des militants de RESF et de la Ligue des droits de l’homme, nous a rendu l’espoir en résumant d’une phrase son geste héroïque : « Je n’ai pas sauvé des juifs, j’ai sauvé des êtres humains ». C’est cela la République. Pour l’avoir compris, mieux que bien d’entre nous, Lassana Bathily est devenu français.
Je vous remercie.
Didier Fischer.
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