L'Assemblée nationale vient de voter une loi pénalisant la négation de tout génocide. En fait, cette dernière vise expressément le génocide arménien de 1915. Sur les faits, il y a longtemps que la majorité des historiens considère que les massacres d'Arméniens perpétrés entre 1915 et 1917 relèvent bien d'une logique génocidaire, c'est-à-dire une action délibérée pour détruire l'ensemble d'une communauté. Mais, quelle que soit l'ampleur du crime, il ne revient pas au législateur dans un régime démocratique de dire l'histoire. Cette tâche incombe aux historiens.
Pourtant, depuis plus d'une dizaine d'années, nos parlementaires adorent cette judiciarisation de l'histoire encouragés qu'ils sont par la tarte à la crême du "devoir de mémoire". Se sont-ils au moins demandés si ces lois servaient à quelque chose ? 0nt-elles permis de mettre un terme à l'expression des négationistes de tout poil. Evidemment, non ! La mémoire, et surtout l'histoire, des Arméniens de France ne sera pas mieux protégée. Il serait plutôt souhaitable que l'on mît plus d'ardeur à enseigner en collège et en lycée ce génocide oublié au coeur de cette Première guerre mondiale : sortir un peu de la boue des tranchées, chère à notre vision franco centrée de la guerre, et élargir notre horizon à l'empire ottoman.
De là à penser que cette loi puisse s'avérer contre productive, il y a un pas qu'il ne faut pas hésiter à franchir. A l'heure où la Turquie commençait à regarder son passé en face, notamment dans le cadre des négociations pour l'entrée dans l'Union européenne, le scrutin d'hier risque de bloquer cette évolution vers une reconnaissance du caractère génocidaire des massacres de 1915. A croire que la France, toutes tendances politiques confondues, souhaitait la rupture qui se dessine avec Ankara !
Allez, les choses sont probablement beaucoup plus simples. Ne s'agirait-il pas plutôt d'une basse manoeuvre de politique intérieure ? Les parlementaires s'en défendent, mais faut-il les croire ? A quelques mois de deux élections majeures, la course au vote arménien est bel et bien engagée et cynisme politique oblige, le passé tragique de ce peuple n'a aucune espèce d'importance.
Le comble dans cette affaire est que toutes les études électorales montrent qu'il n'y a pas de vote arménien en France. Les Arméniens de France répartissent leurs suffrages de la gauche à la droite sans réelle considération communautaire. En revanche, ce sont nos députés, censés défendre les valeurs républicaines, qui véhiculent par clientélisme une vision communautariste de la politique et de la société en soutenant cette loi !
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