Depuis la Révolution de 1789, la laïcité est une question récurrente de notre histoire nationale. Son dernier avatar remonte à la déclaration de Marine Le Pen en décembre 2010 qui dit vouloir remettre la laïcité au cœur du débat politique tout en faisant l’amalgame entre l’Islam et l’immigration. Cette démarche du Front national, qui vise à opposer Islam et laïcité, est évidemment en totale contradiction avec l’idéal laïc qui affirme l’existence d’un monde commun aux hommes par-delà leurs différences. La laïcité ne nie pas les particularismes, mais récuse leur éventuelle dimension exclusive. Ainsi Mona Ozouf peut-elle à la fois dans Composition française revendiquer ses origines bretonnes et son attachement à la République sans que cela ne soit contradictoire[1]. Aujourd’hui, en Europe, notre pays est un des seuls à affirmer une laïcité fondée sur la séparation des Eglises et de l’Etat. Cela ne veut pas dire pour autant que cette notion n’a aucun sens chez nos voisins européens et dans le monde en général. Pour mieux comprendre ce qu’est la laïcité et les relations qu’elle entretient avec la République et la démocratie, nous examinerons tour à tour sa naissance, ses principes et ses remises en cause.
La naissance de la laïcité
Un mot avant d’être un principe
L’histoire de ce mot nous fait remonter aux textes bibliques rédigés en grec. Le mot laos y désignait le peuple. Il distinguait alors les prêtres et les lévites des autres juifs. Une longue histoire religieuse du mot laïque existe donc avant l’apparition du substantif : laïcité. En effet, à l’intérieur de l’Eglise, laïque, désignera en opposition à clerc, toute personne ou institution ni ecclésiastique ni religieuse.
Il faut néanmoins attendre 1871 pour voir apparaître lors de la commune de Paris, puis dans la presse le mot laïcité. Dans son Dictionnaire de pédagogie et d’instruction primaire publié entre 1882 et 1886, Ferdinand Buisson (directeur de l’enseignement primaire, député radical-socialiste et fondateur de la Ligue des droits de l’Homme) souligne la nouveauté de ce mot pour lequel il rédige un long article. L’auteur met en évidence que la laïcité est la reconnaissance de l’autonomie de la société et de l’Etat par rapport à toute religion. Il pose aussi dans le même texte le problème du statut à lui donner : concept, valeur, principe nécessaire à la vie en collectivité.
Pour autant, et contrairement à ce que l’on pense encore trop souvent, la grande rupture à partir de laquelle s’accélère la mise en place de la laïcité comme autonomie de la société, ce n’est pas 1905, mais bien la Révolution de 1789.
La grande rupture de 1789
La remise en cause de l’absolutisme, préparée par le développement de la philosophie des Lumières, conduit à la fin de la légitimation du souverain et à un transfert de souveraineté au peuple. En effet le pouvoir d’origine divine selon la théorie absolutiste trouve désormais sa source dans la nation. Plus qu’une simple évolution politique, c’est une véritable rupture avec l’ancien fondement de la société qui s’effectue. L’Eglise, d’institution englobante qu’elle était, garante en quelque sorte du lien social, est ravalée au rang d’institution comme les autres. La Révolution remet bien en cause le mode d’institution du social qui caractérisait l’ancien régime et conduit désormais à une société laïque. L’historien Ernest Kantorowicz, dans son œuvre majeure, Les deux corps du roi[2], montre que le monarque n’a pas seulement un corps charnel et mortel comme tous les hommes, il a un second corps symbolique, immortel : en sa personne, la nation trouve à se représenter comme corps dans toute son unité. Cette dualité du corps du roi est empruntée à la dualité même du Christ, participant de l’humanité et de la divinité. Si l’on questionne la rupture révolutionnaire à partir de cette lecture de l’ancien régime, nous mesurons bien ce que représente comme désarticulation du social, la condamnation et l’exécution du roi en 1793. La révolution française fait bien émerger un ordre social soustrait au pouvoir divin ou sacré. La laïcité est en marche. L’autonomie sociale constituant le premier pôle de la laïcité, la séparation des Eglises et de l’Etat, le second. Ces deux pôles ne s’opposent pas, ils sont interdépendants. L’événement que constitue la loi de séparation des Eglises et de l’Etat de 1905 ne peut être réduit comme on le fait trop souvent à la définition de la laïcité.
La loi de séparation de 1905
La loi de 1905 donne en fait un cadre juridique fort à la laïcité en France, mais en aucune manière ne l’invente. C’est le contexte d’affrontement franco-français du début du XXe siècle, marqué par l’opposition entre l’Eglise et la République, qui donne cette impression et accentue l’image d’une décision très agressive à l’égard du catholicisme. Nous sommes au temps d’une laïcité militante dont le coup d’arrêt sera donné par la Première Guerre mondiale : les catholiques s’étant comportés en patriotes. Sans entrer dans le détail des péripéties qui conduisent à la loi de 1905, force est de reconnaître qu’elle fut une loi modérée. Elle fut d’ailleurs plus marquée par l’inspiration de Briand et de Jaurès que par celle du célèbre « petit père » Combes. Il est vrai que ce dernier avait élaboré un projet très antireligieux déniant aux Eglises la possibilité de s’organiser au-delà du niveau départemental, ne leur permettant pratiquement plus de disposer des édifices religieux et les plaçant sous une étroite surveillance financière. Mais Combes avait quitté le pouvoir en janvier 1905, quand en décembre fut publié le texte définitif profondément remanié et assoupli. En définitive, trois aspects essentiels dominent dans cette loi :
- la liberté religieuse est clairement réaffirmée,
- la liberté religieuse doit s’entendre également comme respect du droit des Eglises à se doter d’une organisation propre,
- l’indépendance de l’Etat et sa neutralité par rapport à toute religion sont soulignées : « La République ne reconnaît, ne salarie ni ne subventionne aucun culte ».
La séparation de 1905 rompt avec une tradition où l’Etat avait le souci, de Louis XIV à Napoléon Ier, de régenter la religion. Il est clair que les négociateurs de 1905 ne veulent pas rédiger une constitution civile du clergé. Le pouvoir se prive du droit de contrôler les nominations, mais il cesse de financer les Eglises, et notamment, il ne verse plus de traitement au clergé. Le but, comme le souligne Jean Boussinesq[3], était « d’établir la paix religieuse par la liberté des Eglises et par l’autonomie du politique par rapport au religieux ». Cela n’a pas mis fin pour autant à une longue querelle franco-française. Elle se poursuivra tout au long du XXe siècle avec plus ou moins d’éclat. Toujours est-il, la laïcité est un fondement essentiel de la République, dont les grands principes nous permettent de vivre ensemble. Nous pouvons même avancer, sans craindre de nous tromper, que la laïcité à fonder notre ordre politique républicain.
Les principes de la laïcité
Une culture de la liberté et de l’égalité
L’ambition laïque est d’unir les hommes par ce qui les élève tout en les délivrant : chacun devant être en mesure d’exercer son libre arbitre. En fait la laïcité doit rendre lisible ce qui est commun aux hommes, et non exalter ce qui les divise. L’idéal est d’unir par-delà les différences. La laïcité est conçue dans notre République comme le ciment de la nation. Elle ne nie pas les particularismes, mais récuse leur éventuelle dimension exclusive. Dans la cité laïque, la loi commune laisse chacun libre de définir son éthique de vie et de choisir sa démarche spirituelle. C’est le respect de la vie privée. Une affaire Clinton-Lewinsky est en principe impensable dans un pays laïc. De la même manière, c’est dans un Etat laïc que les religions comme les spiritualités sans Dieu sont les plus libres de s’exprimer, sans qu’aucun privilège accordé à l’une d’entre elles ne vienne compromettre leur égalité de principe.
La laïcité est donc une organisation assurant l’unité du peuple pour la loi commune fondée sur la liberté et l’égalité de tous. Elle se définit par trois préoccupations indissociables :
- réaliser l’autonomie intellectuelle de chacun,
- assurer l’égalité de tous dans tous les domaines (juridique, politique, éthique, symbolique),
- promouvoir par les institutions publiques le seul intérêt commun.
Cette culture de la liberté et de l’égalité définit aussi une conception particulière de l’intégration. Accueillir les hommes, ce n’est pas les consigner à résidence dans des ghettos juxtaposés, mais les faire participer à un monde commun. Pour autant, cela ne se fait pas facilement. Une tension naît souvent entre cette visée d’un monde commun, qui est au cœur de l’intégration républicaine, et le respect de ce qu’on appelle non sans ambiguïté, les « différences culturelles ».
Public et privé : une distinction fondatrice
Cette liberté et cette égalité existent parce que la laïcité, dans ses principes, définit un espace privé et un espace public. Et c’est cette distinction qui permet, selon le vers d’Aragon, « à celui qui croit au ciel et à celui qui n’y croit pas[4] » de vivre ensemble. Affaire de conscience et de libre choix, la religion ou la conviction athée, relève de la sphère privée, ce qui en termes de droit inclut aussi bien l’association que l’adhésion individuelle et sa libre manifestation dans le respect de la liberté d’autrui. En réalité, il faut raisonner selon les catégories du droit, et distinguer nettement le privé de l’individuel, et le collectif du public. Une messe est une libre association de croyants qui usent de leur liberté privée. Elle n’est pas juridiquement « publique », même si elle se manifeste « publiquement ». Il en est de même d’une réunion de libres penseurs. Est public, selon le droit, ce qui concerne le peuple pris dans son ensemble, et qui relève donc légitimement de la responsabilité de l’Etat qui le représente aux différents niveaux institutionnels de son exercice : nation, région, département, commune. A l’évidence, ne peut être dit laïc un pays où s’impose une religion officielle, ou une vision du monde particulière comme l’athéisme militant. Ni la Pologne imposant la prière dans les écoles, ni l’ex-Union soviétique érigeant le marxisme en philosophie officielle, ne furent des pays laïcs. Les régimes concordataires, qui concèdent aux religions une emprise sur la sphère publique, ne sont pas non plus des « versions de la laïcité ». En se déclarant incompétent en matière d’options métaphysiques ou religieuses, l’Etat s’autolimite et ouvre à la liberté un champ auparavant contrôlé de façon illégitime par le cléricalisme religieux. Ce refus de dire la norme, là où doit régner la liberté, prend aujourd’hui un sens décisif en matière de vie personnelle, relationnelle et sexuelle. Elle émancipe la sexualité de la procréation, la vie affective du seul mariage, la femme de la tutelle machiste, l’homosexualité de l’opprobre où elle fut longtemps tenue. Il n’y a que dans les régimes totalitaires où l’Etat contrôle la vie privée des citoyens. En France, la laïcité va de pair avec l’école.
L’école publique : pièce maîtresse de l’émancipation
L’école publique assure à tous une instruction capable d’élargir les références et de fonder l’autonomie de jugement. C’est en cela que la laïcité est solidaire de l’enseignement. L’école n’est-elle pas, comme le dit si bien Jacques Muglioni, « le lieu où l’on apprend ce que l’on ignore pour pouvoir, le moment venu, se passer de maître »[5]. L’école doit normalement faire des femmes et des hommes libres. L’histoire nous livre un exemple intéressant, celui du régime de Vichy et sa lutte contre l’école de la République. Le gouvernement de Vichy avait bien compris que sans une école à sa botte, il ne pourrait imposer ses vues. Si son projet échoua, c’est bien parce que l’école avait ancré la République jusqu’au plus profond des campagnes. Il n’en va pas moins que l’école publique doit tenir à distance tous les groupes de pression, non seulement religieux mais aussi économiques, sociaux et médiatiques. Aujourd’hui le processus de marchandisation menace l’école laïque au même titre que les groupes de pression cléricaux et communautaristes. Une banque, le CIC, s’est introduite dans les lycées pour y créer des clubs d’investissement sous l’égide des « Masters de l’économie » et essayer de fidéliser une clientèle jeune. Sans doute apprend-elle aux élèves que s’ils veulent boursicoter et faire augmenter la valeur de leurs actions, ils doivent se réjouir que les entreprises annoncent des milliers de licenciements.
L’école joue un rôle central dans la préparation à l’exercice de la citoyenneté, dans l’affirmation de la pensée critique. Penser c’est juger, et juger, c’est distinguer, afin de trancher et de choisir. On ne peut renvoyer dos à dos, sous prétexte de tolérance, le racisme et le principe d’égale dignité de tous les hommes. Le premier n’est pas une opinion, comme certains voudraient nous le faire croire, mais un délit. Le second est un droit fondamental de l’homme. La laïcité est donc une émancipation intellectuelle autant que juridique.
Mais ces principes peuvent être aujourd’hui remis en cause.
Les remises en cause de la laïcité
L’affirmation identitaire
Nous sommes confrontés depuis un certain nombre d’années à la montée dans notre société d’affirmations identitaires reprises souvent par les grands médias et une partie des milieux politiques. Le terme de communauté ne choque plus personne. Ainsi n’hésite-t-on plus à parler de communauté juive, catholique, musulmane, maghrébine. Un communautarisme de plus en plus affiché existe renforcé par la fausse impression de ghetto que crée la relégation de la « misère du monde » dans les quartiers périphériques de nos villes. A cela s’ajoute, l’ambiguïté des revendications de « droits culturels » qui permettent à un groupe d’affirmer une « identité collective » qui peut entrer en conflit avec la liberté individuelle reconnue à chaque membre du dit groupe de ne pas se plier à cette identité. Les femmes africaines qui en France refusent l’excision ont la loi pour elles, mais doivent lutter contre une prétendue « identité culturelle » revendiquer par le groupe.
Le respect des cultures ne peut aller jusqu’à une consécration de tous les usages. Tout n’est pas respectable dans les coutumes, et nulle civilisation ne doit échapper à l’esprit critique. L’affirmation identitaire peut déboucher sur une remise en cause de l’idéal laïc quand la pratique fait que le droit de l’individu ne prime plus sur celui qu’on est tenté de reconnaître à la « communauté » à laquelle il dit appartenir. Il est évident qu’aucune référence culturelle communautaire ne saurait être des facteurs obligés d’allégeance. Une culture qui prétend s’imposer n’est plus une culture, mais une politique. Elle relève donc du traitement politique qu’on peut juger à l’aune du sort qu’elle réserve aux libertés. La laïcité permet de prendre à l’égard de son « appartenance » assez de distance pour ne pas se fermer aux autres. Elle exclut l’enfermement dans la différence qui est souvent le corollaire de l’affirmation identitaire. Cette dernière n’est pas seule à remettre en cause la laïcité. Depuis une vingtaine d’années un véritable procès des sociétés laïcisées est instruit.
Le procès des sociétés laïcisées
Quelle que soit la manière dont elle s’affirme, la laïcité est aujourd’hui contestée. Au point d’être emprisonnée dans une alternative qui se voudrait imparable. Si elle fait référence à des valeurs, si elle invoque un idéal, elle est taxée d’être une idéologie comme une autre, dépourvue de toute universalité. Si en revanche, elle se définit comme un cadre juridique neutre, propre à organiser le pluralisme religieux, on lui reproche d’être vide, d’où le thème du désenchantement[6]. Les sociétés laïcisées auraient détruit les repères et tari le sens. C’est en substance le contenu du discours du Latran prononcé par le Président de la République qui place le prêtre au dessus de l’instituteur et qui plaide en faveur d’une « laïcité positive[7] ». En bref, d’une manière ou d’une autre, la laïcité se trouve disqualifiée, soit comme particularisme partisan, soit comme référence vide de toute valeur.
L’idée que la laïcisation aurait fait disparaître le rapport au sens et à l’idéal repose sur une erreur de diagnostic concernant la misère du monde et le désarroi qui l’accompagne. Les développements récents du capitalisme, la mondialisation de notre économie et ses conséquences sociales, la contestation de la place et du rôle de l’Etat à travers le slogan d’un Etat minimal remettent en cause les perspectives d’accomplissement de chaque individu et le laissent trop souvent seul face à des situations sur lesquelles il n’a plus de prises possibles. La déshérence moderne n’est pas liée à la laïcité, mais plutôt à sa contestation.
Laisser croire qu’il n’y a plus rien à attendre des sociétés laïcisées comme le font les tenants de la thèse du « désenchantement du monde » et de la « mort des idéaux », c’est aussi ouvrir la voie aux séductions des sectes qui prétendent pallier le naufrage imaginaire du sens. La remise en cause de la laïcité s’insinue aussi dans le discours qui est tenu autour de la construction européenne et d’une prétendue impossibilité d’y faire triompher les valeurs de la laïcité sous prétexte que la France serait seule à les défendre.
La laïcité et l’Europe
Nous le disions, en introduisant notre propos, la France défend effectivement une laïcité institutionnelle qui repose sur deux aspects essentiels l’autonomie et la séparation. Ce qui n’est évidemment pas le cas de tous les pays européens. Pour autant, la solitude de la France est toute relative si l’on considère les aspirations laïques croissantes. La Suède ne vient-elle pas de prononcer une séparation « à la française » ? En Espagne, en Italie et au Portugal, les mouvements laïcs ne cessent de se développer. Il est clair que dans les pays à forte tradition catholique de l’Europe occidentale, un processus de véritable laïcisation s’est engagé qui a consisté à éloigner plus ou moins radicalement l’Etat de toute allégeance religieuse. En Espagne, par exemple, la transition démocratique, après la mort de Franco, a permis une véritable séparation de l’Eglise et de l’Etat. La constitution de 1978 stipule qu’aucune religion n’est religion d’Etat. Une loi organique, datant de 1980, a établi la liberté de conscience tandis que le blasphème cessait d’être un délit. La situation des pays où ont dominé les variantes de la tradition protestante est différente. Angleterre, Allemagne, Pays-Bas et Danemark n’ont pas connu de véritable laïcisation, mais plutôt une sécularisation de la référence religieuse à la fois dans l’Etat et la société civile. Une autonomie existe sans séparation et, pour l’essentiel, la liberté de conscience est respectée.
En fait, la laïcité fait l’objet d’une aspiration croissante dans toute l’Europe parce qu’elle se soucie autant de l’égalité de principe des divers croyants et des non-croyants, que de la liberté de tous, parce qu’elle refuse l’imposition d’un credo particulier, et l’atteinte aux libertés qui en résulte lorsque au nom du « respect des croyances », on assiste au rétablissement d’une censure. Le « religieusement correct » apparaît comme une nouvelle forme de limitation de la liberté d’expression, par un glissement contestable du nécessaire respect des croyants au respect des croyances. La tentative en 2004 de faire interdire l’affiche du film de Costa Gavras, Amen, relève de ce mouvement. C’est au nom aussi du respect des croyances qu’aux Etats-Unis des protestants ont pu demander la suspension des cours de biologie qui enseignaient les théories darwiniennes, sous prétexte qu’ils donnaient une vision évolutionniste du monde incompatible avec le dogme de la création divine, porteur d’une vision fixiste.
En affirmant l’existence d’un monde commun aux hommes, en refusant toute forme de discrimination, la laïcité a bien une dimension universelle. En France, comme nous l’avons vu, elle repose à la fois sur l’autonomie et la séparation du politique et du religieux. Ce qui ne veut pas dire que notre République nie les particularismes, elle refuse seulement leur éventuelle dimension exclusive. La laïcité est de ce fait bien la garante de notre liberté et de notre égalité. Contrairement à ce que l’on prétend trop souvent, le modèle laïc progresse en Europe. Il n’est pas déraisonnable de penser que la construction d’une Europe politique ne pourra faire l’économie de la laïcité. Seule manière de construire, par-delà nos différences, ce vivre ensemble européen sans lequel il ne pourrait y avoir d’Europe des citoyens. Nous sommes bien aux antipodes des déclarations de Marine Le Pen et de l’idéologie du Front national. Les prières dans la rue des musulmans pratiquants de la Goutte-d’Or ne sont ni un danger pour la République, ni une remise en question de la laïcité. Elles posent seulement le problème de l’absence de lieux adaptés. Comme le déclare avec raison Sandrine Mazetier, députée PS de Paris, au journal Le Monde : « Les fidèles ne prient pas dans la rue par plaisir[8] ».
Didier Fischer.
[1] Mona Ozouf, Composition française. Retour sur une enfance bretonne, Paris, Gallimard, 2009.
[2] E. Kantorowicz, Les deux corps du roi, Paris, Gallimard, 1985.
[3] J. Bourssinesq, La laïcité française, Paris, Le Seuil, 1994.
[4] Louis Aragon, « La rose et le réséda » in La Diane française, 1944.
[5] J. Muglioni, L’école ou le loisir de penser, Editions du CNDP.
[6] Voir les travaux de Marcel Gauchet.
[7] Nicolas Sarkozy, discours du Palais du Latran, le 20 décembre 2007 : « Dans la transmission des valeurs et dans l’apprentissage de la différence entre le bien et le mal, l’instituteur ne pourra jamais remplacer le pasteur ou le curé, même s’il est important qu’il s’en approche, parce qu’il lui manquera toujours la radicalité du sacrifice de sa vie et le charisme d’un engagement porté par l’espérance ».
[8] Le Monde, 16/12 /2010.
Les commentaires récents