En France, la nation a été une construction de l’Etat. Les historiens ont depuis longtemps insisté sur cette particularité. Il n’y a donc rien d’étonnant à ce que ce soit le gouvernement qui relance aujourd’hui le débat. Il s’inscrit en cela dans une certaine tradition historique qui remonte au moins à Philippe Auguste et à la constitution d’une administration de plus en plus efficace et centralisée du territoire. La préoccupation de la monarchie capétienne, par-delà l’extension du royaume obtenu par la guerre, l’achat de terres ou la politique matrimoniale, fut de faire croire à la fiction d’une construction nationale autour de la personne du roi. Cela s’avéra d’autant plus nécessaire qu’il fallait agréger des peuples aux traditions culturelles souvent bien différentes.
La révolution française, sans remettre en cause l’idée de nation, en changea profondément le sens. La souveraineté populaire remplaça l’origine divine du pouvoir. La nation prenait en main son destin. Elle incarnait alors la liberté, la lutte contre la tyrannie et la promesse d’une aube nouvelle fondée sur les droits de l’Homme et du citoyen. Cette espérance devait s’incarner dans un régime : la République. La nation des républicains est ouverte, intégratrice et se fonde sur cette volonté de vivre ensemble défendue par Renan. Si elle est un héritage historique et culturel, elle ne peut se résumer à cela. Elle est avant tout une communauté de destins où chacun, quelle que soit son origine ethnique ou sociale, peut trouver sa place à condition d’en accepter les principes. Jaurès ne dit pas autre chose quant il réalise cette synthèse entre la République et le socialisme.
Nous sommes évidemment aux antipodes de l’idée nationale développée à la même époque par une partie de la droite et de l’extrême droite : une nation repliée sur elle-même où l’exclusion et l’exaltation guerrière devint la règle. Barrès, Maurras et l’Action française incarnèrent cette conception nationale qui fut reprise par le régime de Vichy. Jeanne d’Arc, la Marseillaise et jusqu’au drapeau français étaient ainsi détournés au profit d’un nationalisme agressif. Si aujourd’hui toute la droite n’est pas encore au clair avec la nation, la gauche a eu tendance au XXe siècle à l’assimiler à cette réduction caricaturale effectuée par ses adversaires politiques. Cela explique en partie le malaise qui règne dans nos rangs quand il s’agit d’évoquer la nation. Il y a un vrai travail idéologique à faire aujourd’hui pour sortir de cette impasse. Le Parti socialiste et la gauche plus largement sont-ils prêts à l’effectuer ?
Le gouvernement, en réactivant le débat, veut l’instrumentaliser à des fins électoralistes : continuer de diviser les socialistes et la gauche, poursuivre ou relancer l’OPA sur le FN. En nous en emparant pour affirmer haut et fort notre conception progressiste de la nation : celle des premiers républicains, de Jaurès et de Blum, mais aussi celle de tous ceux qui ne peuvent se satisfaire du passé, nous pourrions inventer une nouvelle synthèse nationale adaptée au XXI siècle, qui prendrait en compte l’état de notre société, son caractère profondément inégalitaire, pour dépasser l’idéal national et l’inscrire dans l’avènement de droits réels. Il ne faut pas craindre le débat. Au contraire, poussons ses promoteurs au-delà du prêt-à-penser et de la bouillie pour chat qu’ils nous proposent. Alors apparaîtront en toute lumière leurs arrières pensées. Etre Français, n’est-ce pas croire en cette communauté de femmes et d’hommes qui ne renonce pas devant la difficulté ?
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