Le Parti socialiste et ses partenaires de la gauche de gouvernement ne sont pas en manque d’idées. Il leur faut seulement s’entendre sur un projet cohérent et alternatif à la politique que poursuit à l’heure actuelle la droite au pouvoir. L’heure n’est pas à la désignation du candidat ou de la candidate des socialistes pour l’élection présidentielle de 2012, mais au choix d’une orientation politique pour l’élaboration de ce projet. La déclaration de principes adoptée par le Parti socialiste en vue de son congrès fait les mises au point nécessaires et ouvre ainsi des perspectives d’avenir. Le refus du libéralisme sauvage, la reconnaissance d’une économie de marché et d’une économie sociale et solidaire, la priorité réaffirmée de la lutte contre toutes les formes d’inégalités et de discriminations place clairement le Parti socialiste dans le registre d’une gauche réformatrice et de transformation sociale en l’éloignant des incantations révolutionnaires et protestataires. Il s’inscrit dans les luttes sociales pour leur donner un véritable débouché politique. Le renouveau d’une gauche de gouvernement en France s’effectuera à la fois par le retour aux sources d’un héritage historique assumé et des réponses adaptées aux évolutions économiques, sociales et environnementales sous l’effet de la mondialisation. Cette adaptation nécessaire ne peut se concevoir sans une Europe puissante.
Faire émerger un nouveau modèle de développement, aller vers l’égalité réelle, renouveler la démocratie, bâtir une Europe unifiée et puissante sont les défis que le Parti socialiste et la gauche doivent relever pour trouver le chemin du renouveau. Les propositions qui suivent n’ont rien d’exhaustif. Il s’agit seulement des grandes lignes d’un projet politique global et cohérent pour à la fois rompre avec le creusement des inégalités sociales et répondre aux bouleversements de la mondialisation.
1. Faire émerger un nouveau modèle de développement
Un nouveau modèle de développement implique un investissement massif dans l’économie de la connaissance. Il n’est plus possible de penser que sans un soutien très important à l’économie, nous serions en mesure de réduire les inégalités. Le financement d’une politique visant à l’égalité réelle dans le contexte de la mondialisation ne peut se faire sans performance économique. Pour autant, cette performance doit reposer sur les grands principes du développement durable afin de ne pas compromettre l’avenir des générations futures et l’équilibre naturel de notre planète. La priorité à l’éducation et à la recherche, la protection de notre environnement et l’avènement d’un nouvel Etat-providence s’inscrivent dans cette exigence.
Ø L’éducation et la formation sont au cœur de ce nouveau modèle de développement. La mise en place d’un système éducatif fondé sur la réussite pour tous s’impose de toute urgence. On ne peut continuer de se priver de la compétence de milliers de jeunes chaque année au prétexte qu’ils ne peuvent suivre ou n’ont pas le goût de suivre la scolarité proposée. Cela implique une réforme en profondeur de notre enseignement secondaire. Il nous faut aussi développer notre système universitaire et investir massivement dans la recherche. L’innovation économique et la réussite individuelle sont à ce prix. De la même manière, la formation doit se poursuivre tout au long de la vie. Dès son entrée dans la vie active, un individu doit disposer d’un compte formation. Au chômage, il l’utilise pour acquérir de nouveaux savoirs, se perfectionner et ainsi rebondir.
Ø La protection de notre environnement dépend aussi en très grande partie de cet investissement dans l’économie de la connaissance. La lutte contre l’effet de serre et le réchauffement climatique, la préservation de la diversité biologique, la diversification de nos sources d’énergie et le développement des énergies renouvelables doivent s’inscrire prioritairement dans notre démarche. Les transports, la rénovation urbaine, les modes de vie ne peuvent que tenir compte de ces impératifs. Par exemple, la priorité absolue doit être donnée aux transports en commun, plus aucun bâtiment ne doit être construit sans tenir compte des cibles HQE, l’effort pour réduire les consommations d’énergie et d’eau doit être poursuivi et intensifié grâce au développement d’une fiscalité écologique… Loin de réduire l’activité, cette nouvelle orientation permettra le développement d’entreprises innovantes et d’emplois adaptés aux nouvelles exigences environnementales.
Ø L’Etat n’est plus seulement dans ce nouveau modèle de développement un Etat-providence. Il devient aussi un Etat arbitre, un Etat facilitateur, en favorisant à la fois la compétition économique et en mettant en place un bouclier contre la pauvreté : instruction poussée pour tous et protection de l’égalité des chances par des dispositifs de correction. La confiance entre employeurs et employés, entre Etat et citoyens, doit être développée. La « flexicurité » des pays scandinaves qui a fait décoller leur économie n’a été possible que parce qu’ils ont investi dans la confiance et le civisme entre partenaires sociaux. Le dialogue social ne peut être que renforcé. La poursuite de la décentralisation est aussi une nécessité pour l’innovation. L’Etat doit néanmoins être le garant d’un système fondé sur la péréquation des moyens, l’expérimentation libre, l’évaluation publique de l’expérience et l’ajustement du tir avec l’aide des critiques citoyennes.
2. Aller vers l’égalité réelle
L’égalité, un des principes fondateurs de notre République, reste malgré tout bien formelle. Depuis une trentaine d’années, notre société est devenue de plus en plus inégalitaire. L’essoufflement du modèle fordiste, la contestation du rôle de l’Etat, le triomphe du libéralisme et d’une économie financiarisée remettent progressivement en question les acquis sociaux de la Libération. L’épanouissement de chacun et la cohésion sociale en souffrent profondément. Le nouveau modèle de développement que nous souhaitons vise à remédier à ce problème. Un service de la petite enfance, une réforme des retraites, une plus grande justice fiscale peuvent permettre d’inverser cette tendance.
Ø Un service public de la petite enfance s’impose parce que les inégalités se creusent dès les premières années de la vie. En France, 160 000 jeunes sortent de l’école sans qualification, la plupart sont issus de familles pauvres. Aider les familles à investir dans leurs enfants en croisant des congés parentaux rémunérés au cours de la première année de l’enfant à des structures de prise en charge abordables et de très haute qualité. Développer les crèches et les structures de garde, renforcer la maternelle et le primaire afin de former au mieux et d’aider tous les enfants, et à plus forte raisons ceux qui éprouvent le plus de difficultés à suivre, doit devenir la priorité. Il vaut mieux financer les crèches à haute valeur ajoutée avec des puéricultrices de qualité, plutôt que de subventionner la domesticité. Un double avantage à procéder ainsi existe. On peut réduire au moins d’un tiers les sorties sans diplôme du système scolaire et dans le même temps réduire les inégalités hommes/femmes : ces dernières pouvant alors plus facilement faire des carrières complètes.
Ø Une réforme générale des retraites attend toujours. La loi Fillon de 2003 n’a rien résolu, puisqu’en plus de son caractère injuste, son financement n’est pas assuré. On ne peut pas seulement se contenter d’une augmentation de l’âge de la retraite et des cotisations. La retraite n’est-elle pas le capital des gens sans capital ? Elle devrait constituer le patrimoine individuel de chacun : tous les droits regroupés dans un compte individuel, le capital-retraite. Chaque travail est comptabilisé, rien ne se perd. Il est régi par un principe égalitaire : « A cotisation égale, retraite égale ». L’argent n’est pas placé pour ne pas dépendre des fluctuations du marché et l’Etat garantit le capital. Un minimum retraite financé par l’impôt pourrait être mis en place. Ensuite, rien n’empêche bien évidemment chacun de cotiser plus. L’âge légal demeure à soixante ans et le taux plein est obtenu à quarante annuités pour tous. La pénibilité du travail est prise en compte, après accord avec les partenaires sociaux, pour déroger dans certains cas à cette règle. Pour autant, le principe de solidarité entre les générations est maintenu. La retraite par répartition demeure dans la mesure où une part de la valeur ajoutée compense le déséquilibre générationnel.
Ø L’égalité réelle passe par une plus grande justice fiscale. Souvent annoncée, mais jamais réalisée, cette réforme pourrait prendre trois orientations déterminantes : en finir avec toutes les niches fiscales, rétablir la solidarité et rendre le calcul de l’impôt lisible. Cela ne peut se faire sans la mise en place d’un impôt unique avec un barème progressif et prélevé à la source. Par exemple : 10% d’imposition à 40 000 €, 20% à 100 000, 40 % à 500 000. Pas de tranche et pas de régime de faveur. C’est en fait le principe de l’impôt du Front populaire, supprimé en 1942 par le gouvernement de Vichy jugeant qu’il imposait une « tyrannie de la démocratie ». Il faut aussi s’attaquer à l’injustice que constitue l’imposition locale. Sa perception ne doit plus seulement tenir compte par exemple de la nature du bien, de sa surface et de son degré d’équipement, mais aussi des revenus du contribuable. Pour en faciliter la lecture, on pourrait reprendre le barème de l’impôt unique.
3. Renouveler la démocratie
La vie démocratique ne se limite pas à déposer périodiquement un bulletin dans l’urne. Il est d’ailleurs aisé de remarquer que même ce simple geste ne va plus de soi. La crise de la représentation fait qu’aujourd’hui l’abstention est forte. La récente réforme constitutionnelle semble bien insuffisante pour enrayer ce phénomène et donner un nouvel élan à notre démocratie. Les pouvoirs du Parlement ont certes été renforcés (partage de l’ordre du jour de l’Assemblée, encadrement de l’article 49-3, consolidation des fonctions de contrôle et d’évaluation du gouvernement par le Parlement…), mais cela ne remet pas en cause la logique présidentielle des institutions et le faible poids institutionnel de l’opposition. Dans ces conditions, comment rééquilibrer notre démocratie et surtout, comment lutter contre le « rejet du politique » que dénoncent nombre de citoyens ? Trois grandes mesures devraient être de nature à répondre à cette urgence démocratique : le non cumul des mandats, un statut institutionnel de l’opposition et les comités citoyens.
Ø Le non cumul des mandats, ainsi d’ailleurs que leur limitation dans le temps, est la grande mesure institutionnelle que pourrait prendre la gauche. En plus d’être une mesure très populaire, elle permettrait d’enrichir l’offre politique et surtout d’accélérer son renouvellement. L’accès des femmes et des jeunes générations en serait grandement facilité. Il est évident que cette réforme devra être accompagné de la création d’un statut de l’élu, maintes fois évoqué mais toujours différé, qui entraînerait une revalorisation des indemnités pour certains mandats locaux et nationaux, un droit à la formation, à la reconversion, à la retraite plus important et l’assurance d’un retour vers l’emploi une fois le mandat rempli. Le non cumul pour produire son effet maximum sur le renouvellement de la vie politique doit se concevoir aussi avec une limitation dans le temps à deux mandats.
Ø La reconnaissance d’un « statut de l’opposition » pour transformer cette dernière en véritable force de proposition est une nécessité. Chaque groupe parlementaire pourrait alors obtenir l’ouverture d’une commission d’enquête par an. Les rapporteurs et les présidents des commissions permanentes seraient désignés à la proportionnelle. Les groupes d’opposition pourraient présenter une contribution dans le rapport final de chaque commission ou rapport de minorité, comme cela se fait en République Tchèque, en Finlande, en Allemagne, en Pologne… Un contre-rapporteur des grands projets (budgets, réformes…) pourrait accompagner le rapporteur. Il ne suffit pas de relancer seulement la démocratie représentative, il faut aussi dynamiser la démocratie participative.
Ø La création de comités citoyens - qui pourraient prendre la forme d’états généraux spécialisés traitant un problème particulier, de forums associés à des experts, ou plus simplement des groupes de discussion pragmatique - est à réaliser dans les plus brefs délais. Ces groupes pourraient ainsi mieux faire comprendre une politique et souvent l’amender. La rénovation d’un centre-ville, la construction d’une autoroute, le développement d’un projet de transports en commun, enfin, tout aménagement conséquent, ne devrait pas échapper à l’analyse de ces comités. Un rapport de leurs travaux serait remis aux autorités compétentes. Si ces dernières restent libres de suivre ou de ne pas suivre ses préconisations, il serait en revanche un document précieux pour les recours que pourraient engager les associations contre le projet en question.
4) Bâtir une Europe unifiée et puissante
Le débat sur le traité constitutionnel de 2005 est derrière nous. Il fut un grand moment de démocratie, mais il faut aujourd’hui dépasser nos divergences. Il a tout particulièrement mis l’accent sur la nécessité de construire une Europe plus proche des citoyens, plus en phase avec les difficultés sociales qu’ils rencontrent, plus forte aussi politiquement. L’avenir de notre pays s’inscrit sur l’horizon européen. L’Europe est notre nouvelle frontière et cela ne peut être contradictoire avec la démarche internationaliste de la gauche. Pour faire face au déploiement du capital et à la financiarisation de l’économie mondiale, nous devons bâtir de fortes solidarités politiques transnationales dans le cadre européen.
Ø Un véritable gouvernement économique et social européen doit naître pour peser dans les négociations sur le commerce mondial et aller vers une harmonisation sociale par le haut. L’unification est un préalable essentiel à la puissance et ensuite à la construction d’une Europe sociale. Cette dernière sera d’autant plus possible que l’intégration des douze nouveaux arrivants entre 2004 et 2007 sera effectuée. Cela exige une augmentation à terme du budget européen parce qu’on ne peut faire cet effort à coût constant. L’élargissement aux pays de l’Europe centrale et orientale (PECO) en 2004 a été une décision politique. Il faut aujourd’hui l’assumer financièrement sous peine de déstabiliser l’édifice.
Ø La réforme des institutions européennes doit se poursuivre par la mise en place de procédures de décisions simplifiées, par un renforcement du poids du parlement européen, par la suppression de la présidence tournante tous les six mois. La fédération d’Etats-nations qu’est devenue l’Europe, selon la formule de Jacques Delors, doit progressivement devenir une puissance dotée d’institutions plus fédérales et parlementaires. Si l’Europe veut devenir un espace de régulation au cœur de la mondialisation, elle doit être en mesure de parler d’une seule voix et savoir afficher en tous lieux et en toute occasion la solidarité de ses membres. Nous en sommes aujourd’hui assez loin.
Ø La mise en place de véritables politiques communes ferait de l’Europe une puissance dans le monde. La PAC, qui engloutit près de 40% du budget européen, reste encore aujourd’hui la seule politique européenne d’envergure. Il est indispensable de mettre en place des politiques industrielle, sociale, environnementale. Si dans tous ces domaines l’Europe agit depuis longtemps, il est nécessaire maintenant de donner plus de cohérence et de force à cette action. L’adoption par le Parlement européen d’un pacte économique, écologique et social continental marquerait un véritable élan dans ce sens. De la même manière, l’Europe doit développer une politique extérieure et de sécurité commune (PESC). Elle ne peut plus se contenter d’être à la remorque de l’OTAN. En germe depuis 1992 (traité de Maastricht), cette politique tarde à émerger. La défense reste un pouvoir régalien des Etats, tandis que l’atlantisme de certains partenaires bloque toute politique autonome. Il faut dépasser ce blocage. Rien n’empêche la construction d’une politique commune en association avec l’OTAN.
Ce projet montre un chemin possible pour le Parti socialiste et la gauche. S’il n’entre pas dans les détails d’un programme de gouvernement, il répond à nos principes de justice sociale tout en respectant une cohérence globale qui manque à notre démarche politique depuis l’élection de Nicolas Sarkozy. Cette absence de cohérence est, à notre sens, un des obstacles majeurs à un retour de la gauche au pouvoir. Les Français ne croient plus au catalogue des promesses. Ils veulent des responsables politiques en mesure de tracer un cap et qui sachent, le moment venu, se rassembler dans l’intérêt de tous. Ils n’ignorent évidemment pas qu’en démocratie une majorité et une opposition existent. C’est le fondement même de notre système politique où l’alternance ne s’effectue que si l’opposition est parvenue à faire la preuve de sa crédibilité à gouverner. En revanche, ils ne supportent pas « les guerres des chefs » qui se font toujours au détriment de la résolution des vrais problèmes. Il reste au Parti socialiste, après avoir compris ce message, à proposer au pays un chemin d’avenir pour rassembler toute la gauche et donner envie aux Français de l’emprunter en 2012.
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