Le 21 juillet, les parlementaires prendront la direction de Versailles pour une énième révision de la constitution de la Ve République. Il est pourtant difficile de voir dans le projet proposé au suffrage des députés et des sénateurs une réponse efficace à l’omnipotence du Président de la République. Alors que sur le sujet tout et son contraire a été dit, il n’est peut-être pas inutile de revenir sur l’histoire d’une présidentialisation qui n’a pas trouvé seulement ses adeptes à droite, même s’il est probable qu’une très large majorité de gauche votera contre la révision constitutionnelle.
La constitution adoptée en 1958 renforçait déjà le pouvoir exécutif par rapport au pouvoir législatif. Un exécutif fort était une condition imposée par le général de Gaulle pour rompre avec l’impuissance de la IVe République, mais les députés avaient obtenu de ce dernier la responsabilité du gouvernement devant le Parlement. En cela, le régime demeurait au moins formellement parlementaire. La présence d’un Premier ministre qui conduisait la politique de la nation pouvait encore faire illusion. Un objet constitutionnel hybride était né, que les constitutionalistes de l’époque peinaient à définir. François Goguel parla d’un « régime parlementaire sans souveraineté du Parlement » et Maurice Duverger d’un « régime semi-présidentiel ». Ces deux spécialistes avaient dans leur analyse bien mis en évidence le rôle minoré du Parlement par la perte de la maîtrise de son ordre du jour et d’une partie importante de son pouvoir législatif.
S’il fallut attendre la révision de 1962 pour que le Président de la République jusqu’alors élu par un collège élargi de 80 000 notables (parlementaires, maires, conseillers municipaux) le soit désormais directement par les Français au suffrage universel, les articles 11 (référendum), 16 (pleins pouvoirs), 49.3 (adoption d’un texte sans vote si une motion de censure n’obtient pas la majorité) pour n’évoquer que les plus connus avaient à la fois renforcé les pouvoirs du président et du gouvernement. En fait, ce que certains allaient appeler improprement, mais avec un tel pouvoir d’évocation, une « monarchie présidentielle », était né avant tout d’un contexte et d’une pratique particulière des institutions.
Le contexte fut celui de la guerre d’Algérie où les partis politiques laissèrent tacitement au général de Gaulle les mains libres pour résoudre le conflit, trop heureux de trouver quelqu’un qui fît le sale boulot qu’ils n’avaient pas su ou pu faire sous le précédent régime. La présidentialisation s’est alors considérablement renforcée par la pratique du pouvoir inaugurée par le général de Gaulle. La révision constitutionnelle de 1962 fit figure de conclusion logique à trois années d’un pouvoir sans partage du président où le rôle du Premier ministre était déjà réduit à celui d’un exécutant. Pouvait-il échapper aux Français que Michel Debré, favorable à l’Algérie française, « conduisait » une politique algérienne qui s’acheminait vers l’indépendance ?
Cette présidentialisation du régime, qui n’en resta pas là, fut condamnée par de nombreuses personnalités de gauche. Pierre Mendès France et François Mitterrand furent parmi les adversaires les plus résolus des nouvelles institutions. Ils menèrent campagne contre le retour du général de Gaulle, contre l’adoption de la constitution et contre l’élection du Président de la République au suffrage universel. En 1964, François Mitterrand fit paraître un pamphlet qui connu un certain succès : Le Coup d’Etat Permanent. Ce livre contribua à l’installer comme l’opposant le plus remarquable au général de Gaulle et lui valut, après la tentative avortée de Gaston Defferre, d’être le candidat de la gauche unie à l’élection présidentielle de 1965.
Cette candidature, au regard de l’histoire, n’a rien d’anecdotique. Elle marque en fait la conversion progressive de la gauche aux institutions de la Ve République. Comment pouvait-on être candidat à la fonction suprême sans en épouser toute sa dimension ? En 1981, enfin élu, François Mitterrand répondra à ses interlocuteurs qui l’interrogeaient sur ses prises de positions passées, qu’il « gérait un coup d’Etat ». Force est de constater qu’il ne fit rien pour changer les choses. Il se coula dans les institutions de la Ve République comme avaient pu le faire ses prédécesseurs de droite. Il joua sans vergogne de son pouvoir de dissolution de l’Assemblée, utilisa le référendum à plusieurs reprises et les gouvernements de gauche usèrent et abusèrent du 49.3. Faut-il y voir là un hommage posthume à Guy Mollet ? En effet, l’ancien président socialiste du Conseil en avait été l’inventeur lors de sa participation aux travaux de la commission chargée de rédiger la constitution de 1958.
Il était clair que les socialistes rompaient dans les années quatre-vingt avec la tradition parlementaire qui avait été, depuis la fin du XIXe siècle et leur ralliement à la République, leur seul horizon politique. Comme dans toute évolution culturelle, la rupture avait été progressive et s’inscrivait dans la volonté du Parti socialiste, qui s’était reconstruit à Epinay en 1971, à exercer le pouvoir. Le passage au quinquennat et l’inversion du calendrier électoral en 2000, sous le gouvernement de la gauche dite plurielle de Lionel Jospin, renforçait la logique présidentielle des institutions. Ce qui pouvait apparaître à certains observateurs peu avertis comme anecdotique était en fait une réforme de fond aux conséquences non négligeables. Elle fit bien grincer quelques dents au sein du PS, mais les opposants restèrent discrets. Le temps avait fait son œuvre. A tel point d’ailleurs, que lors du récent débat sur les institutions européennes, ce fut la gauche et l’extrême-gauche qui réclamèrent à cor et à cri un référendum ! Cette pratique institutionnelle, vilipendée quelques années plus tôt, est désormais parée de toutes les vertus démocratiques.
Robert Badinter a raison quand il affirme dans Le Nouvel Observateur que « Le président est donc à la fois le maître de l’exécutif et le maître du législatif. Il est le véritable chef de la majorité parlementaire. Il faut donc contre-balancer cette monocratie. Nous en sommes bien loin avec ce projet ». La possibilité donnée au président de s’exprimer devant le Parlement réuni en Congrès une fois par an ne va pas dans le sens d’un rééquilibrage des pouvoirs. La survie de l’article 49.3, le maintien du mode de scrutin des sénateurs qui nie l’alternance démocratique et l’absence de réforme de la composition du Conseil constitutionnel qui sert aujourd’hui de maison de retraite aux anciens présidents de la République confirme cette analyse. Pour autant, si tous ces points qui font clivage n’avaient pas existé, la logique présidentielle des institutions et de leur pratique aurait-elle été fondamentalement remise en cause. On peut en douter dans la mesure où le régime actuel trouve dans l’opinion publique une forte assise et que bien des parlementaires de droite comme de gauche s’en accommodent. S’il correspond à une évolution importante de notre culture politique, notamment à gauche, il constitue surtout la synthèse plutôt réussie entre l’exercice de la démocratie parlementaire et l’appel au sauveur.
Alors Jack, droit dans tes bottes. Quel courage ! Il t'a promis quoi Sarko ? Une place au PRG ?
Rédigé par : Muriel | 24 juillet 2008 à 12:07