Que sont devenues les bonnes guerres d’antan où des centaines de milliers d’hommes s’affrontaient sur des fronts bien définis ? Où l’accumulation de matériels, accompagnée de bombardements massifs et d’une vitesse d’exécution hors norme, faisaient rompre la défense adverse ? Cette conception de la guerre-éclair, qui pouvait devenir totale, éprouvée au XXe siècle ne serait-elle plus qu’un objet d’étude pour les historiens ? En effet, à l’heure de la mondialisation, rien ne serait plus dommageable que de penser les conflits à venir et les stratégies militaires s’y appliquant sur le modèle de ceux du passé. Le mur de Berlin est tombé, l’Europe est durablement en paix. La menace extérieure a changé de nature. Plus diffuse, elle prend les traits du terrorisme, souvent islamiste, même si ce dernier est loin d’être le seul en cause. Les attentats du 11 septembre 2001 aux Etats-Unis ont achevé de convaincre les responsables politiques des grandes puissances que nos systèmes de défense étaient inadaptés aux évolutions du XXIe siècle.
Le livre blanc sur la défense et la sécurité nationale, publié récemment en France, a corroboré cette analyse. Les propositions qu’il contient serviront de cadre à la future loi de programmation militaire que prépare le ministre de la Défense. Deux priorités ont déjà été validées par le Président de la République : la protection des forces engagées en opérations extérieures et le renseignement. Ce choix s’inscrit dans la logique d’une évolution, amorcée au moins depuis la guerre du golfe en 1991, qui a vu ainsi la suppression du service militaire au profit d’une professionnalisation de nos armées. Mieux vaut avoir 60 000 soldats prêts à combattre, entraînés à des missions spécifiques, que 400 000 hommes incapables de répondre aux nouvelles exigences de la guerre moderne. Que la priorité soit désormais au renforcement de notre capacité à « projeter » des forces là où l’exigent nos intérêts et ceux de nos alliés ne peut surprendre. Par ailleurs dans le nouveau contexte international, que certains observateurs qualifient de « désordre mondial », le renseignement est devenu une arme décisive. Les attentats du 11 septembre n’ont-ils pas d’abord été interprétés comme la faillite des services de renseignement américains incapables d’analyser la somme d’informations recueillies ? Il est indéniable comme l’affirme Jean-Claude Mallet, coauteur du livre blanc sur la défense, que « si, aujourd’hui, on perd la bataille de l’information et du renseignement, on perd la guerre ». Le renseignement nourrit aussi bien la décision politique que la manœuvre militaire. Renforcer dans ce domaine nos capacités techniques et nos moyens d’exploitation est un choix cohérent pour maintenir notre liberté d’action.
Il serait donc particulièrement irresponsable de ne pas souscrire à ces orientations. Elles résultent à la fois d’une analyse objective de la situation du monde et d’une prise en compte des enseignements de l’histoire du XXe siècle. Pour autant, il serait dangereux de se satisfaire de ces seules mesures au détriment d’une vision beaucoup plus globale. Il faut penser notre sécurité à l’échelle européenne. Le cadre national n’est plus en mesure de l’assurer. L’épisode du second porte-avions montre bien que nous n’avons pas dans ce domaine les moyens de notre autonomie. La France doit donc accepter d’être le maillon fort d’une défense qui la dépasse et de ce fait la protège réellement.
De la même manière, la suppression de 83 sites militaires sur le territoire national ne peut se justifier que si cette opération répond en totalité à notre nouvelle stratégie militaire. On peut se demander parfois, en l’absence d’une réelle concertation, quels furent les critères qui présidèrent à l’annonce de telle fermeture plutôt que telle autre. La pugnacité des élus locaux, comme ce fut le cas à Mourmelon, ou les petits arrangements électoraux sur la révision constitutionnelle - le report de l’annonce des fermetures après le vote du congrès – ont-ils joué dans ces choix ? Que penser encore des suppressions annoncées à l’horizon 2012, à l’instar du Commissariat à l’Armée de Terre de Rambouillet ? On aurait voulu annoncer certaines fermetures sans se donner les moyens de rendre la décision effective qu’on ne s’y serait pas pris autrement. Qui peut croire qu’en pleines campagnes électorales (présidentielle et législatives) ces villes seront désertées par leurs soldats sans solution de remplacement avantageuse ? Et là, ce ne sont pas les 320 millions proposés qui y suffiront ! Les tacticiens l’auront une fois de plus emporté sur les stratèges, tandis que la « modernisation » de notre défense se résumera à quelques maigres économies budgétaires et au renforcement des inégalités territoriales.
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