A la veille de l’université d’été du Parti socialiste, la rénovation est devenue la dernière tarte à la crème de la gauche. Les dirigeants socialistes multiplient depuis le mois de juin les tribunes dans la presse et sur leurs blogs. C’est à celui qui sera le plus rénovateur, au moins dans les mots à défaut de l’être dans les actes. Le socialisme de papa est mort et celui de « tonton » ne vaut guère mieux. Les politologues se perdent en conjectures. Certains voient dans les revers électoraux enregistrés par le PS ces dernières années, un processus de dépérissement à la manière de celui subit par le parti radical au lendemain de la Seconde Guerre mondiale. Si l’histoire ne ressert jamais les plats, une chose est certaine : le cycle d’Epinay, amorcé en 1971, qui avait vu autour de François Mitterrand la renaissance du PS, est bien clos. La victoire surprenante de 1997 et les cinq années de gouvernement de Lionel Jospin ont en partie occulté cet état de fait. Le réveil en fut d’autant plus douloureux. Le coup de tonnerre du 21 avril 2002 reste encore dans les mémoires, mais il est difficile de dire aujourd’hui que toutes les conséquences ont été tirées de cet échec retentissant. Son analyse est restée factuelle et nous avons continué de croire en nos valeurs sans d’ailleurs bien savoir ce qu’elles recoupaient. Suffisait-il de clamer notre attachement à la République, à sa devise, à ses principes de laïcité et de solidarité quand dans nos actes nous en étions souvent éloignés ? Nous entretenions par cette attitude la profonde crise de la représentation que connaît notre pays depuis près de vingt ans et nous faisions prospérer de concert extrême droite et extrême gauche. Pis, nous sommes devenus au fil du temps un parti conservateur que le mouvement ne manquait pas d’affoler. Aussi le problème n’est-il pas d’être trop ou pas assez à gauche, mais bien d’incarner à nouveau pour une majorité de Français un projet cohérent où la justice sociale doit rimer avec l’efficacité économique. En dépit d’indéniables réussites locales, il ne faut pas croire que le salut viendra de ces expériences. Leur somme ne fera jamais le programme de la reconquête nationale de la gauche et celui d’une crédibilité retrouvée pour le PS.
Le socialisme a plus de 150 années d’existence. Il s’est incarné dans un parti, la SFIO, en 1905, avant de retourner à la division après la Première Guerre mondiale. La SFIO, représenta alors l’aile réformiste, tandis que la SFIC (Parti communiste) s’identifia à la révolution russe et au mouvement communiste. En fait, les socialistes n’assumèrent jamais cette rupture. De la SFIO au PS, nous nous sommes contentés tant bien que mal de « garder la vieille maison ». Ce socialisme « à l’échelle humaine », que voulurent imposer Daniel Mayer et Léon Blum lors du congrès de 1946, se heurta à une ligne marxiste traditionnelle défendue par Guy Mollet. Ce dernier l’emporta et régna sur le parti jusqu’à la fin des années soixante. La refondation d’Epinay n’eut d’originale que son incarnation : la personnalité de François Mitterrand. Sinon, il y fut réaffirmé la volonté de rupture avec le capitalisme comme cela était déjà le cas au début du siècle. La croissance et son ralentissement au milieu des années 1970, la dénonciation des régimes communistes, l’effondrement du bloc de l’Est en 1989 et la fin de la guerre froide contribuèrent au discrédit de ce modèle de développement économique et politique. Continuer de s’en revendiquer, tout en le dénonçant par les actes, sans rien inventer à la place, ne pouvait conduire qu’à un brouillage idéologique de grande ampleur et à l’impossibilité de définir une ligne politique claire. Aussi, avant toute question de leadership, est-il urgent de clarifier notre discours et de tracer la voie d’un socialisme pour le XXIe siècle qui n’ait pas pour seul horizon la défense des avantages acquis de certaines catégories sociales, voire de certaines corporations. Il existe des syndicats pour cela ! Il était une époque où l’on se moquait des motions mi-chèvre, mi-chou des congrès du parti radical, nos synthèses n’ont rien à leur envier. Le consensus à tout prix marque ses limites. Il n’est pas l’expression de la démocratie interne de notre parti, mais sa perversion. Ne serait-il pas plus sain que le débat aille au bout, qu’une majorité se dégage et qu’ensuite cette dernière assume ses responsabilités ? Le mal dont souffre le PS n’est d’ailleurs pas propre à ce parti, il relève en fait d’une culture politique française pour qui l’union sacrée est le meilleur modèle de gouvernement. Au fond, c’est d’une démocratie inachevée dont souffrent le pays et le parti socialiste. Démocratiser, c’est reconnaître l’existence d’une majorité et d’une minorité. Le clivage gauche/droite, que certains essaient aujourd’hui de passer par pertes et profits, n’est pas un archaïsme politique mais la condition même du bon fonctionnement démocratique.
Ce n’est pas en brûlant aujourd’hui ce que nous avons adoré hier que nous trouverons une réponse à nos interrogations. Cessons les combats fratricides qui eux, pour le coup, ne relèvent pas du jeu démocratique, et mettons-nous au travail avec rigueur et sans concession. S’il faut en passer par la disparition du PS dans sa formation actuelle, n’hésitons surtout pas. A condition qu’il ne s’agisse pas, bien entendu, d’un simple changement d’oripeaux. Prouvons que nous sommes capables d’une profonde remise en cause sans pour autant abandonner ce qui fait notre identité socialiste. « Le socialisme, c’est la démocratie jusqu’au bout », disait Jaurès. Faisons émerger enfin ce socialisme démocratique en prise avec les évolutions de la société française et du monde. Sachons entendre ce que les Français nous disent pour nourrir notre action politique et définir l’intérêt général. Nous sommes à un tournant de notre histoire. Ne pas vouloir le reconnaître ne peut que nous conduire sur les chemins d’une lente agonie. Au contraire, un peu de lucidité et beaucoup de travail doivent nous permettre de franchir l’obstacle.
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